Nous sommes en guerre, mais ce n’est pas celle que l’on pense.
Le premier effet de viralité de cette pandémie est sans doute celui de « la guerre de tous contre tous », travestie dans la violence du consensus imposée à chacun.
Cette violence c’est celle de l’amabilité forcée, du service clientèle qui oblige chaque jour ceux qui peuvent mourir à applaudir leurs bourreaux, et à humilier les soignants qui se sont fait gazer deux mois auparavant.
Dedans ou dehors, c’est la tête qui est visée, et les mains n’y peuvent plus rien, la paume ouverte était justement le premier geste de l’échange humain, qui invitait l’autre et donc soi-même, à ne craindre rien de la rencontre.
La peur confine et le confinement sépare. Il nous sépare des autres et de nous-mêmes, faisant de chacun un délateur, en nous laissant à une solitude encore plus grande.
Le confinement nous oppose les uns aux autres, mais aussi à l’intérieur de nous, de notre propre pensée, noyée chaque jour sous un flot d’information invérifiable et contradictoire. La guerre est avant tout dans nos têtes.
Ceux qui meurent là-bas, dans des Ehpad excentrés, nos proches, nos parents, meurent encore plus sûrement de solitude et de peur et ceux qui meurent ici la nuit sous nos fenêtres, le font dans le silence de nos nuits électroniques.
Et ce n’est pas d’un repliement identitaire qu’il soit religieux, sexuel, politique, culturel ou ethnique que peut naître une nouvelle « solidarité » qui débouchera sur une humanité plus juste, ou des lendemains radieux.
Le problème de la sortie du confinement est celui de son commencement, comment finir ce qui n’a pas commencé.
Ce qu’il est assez facile de prévoir à court terme, c’est la poursuite de l’organisation journalière d’annonces anxiogènes.
La seule manière de pouvoir sortir du confinement sera sans doute d’abord de renforcer les mesures existantes et ensuite de créer des événements encore plus anxiogènes : quelques pénuries vitales (médicament, aliment, énergie, etc.), des mesures contraignantes et incompréhensibles, des prévisions de krash économique, des mesures de restrictions rendant la vie de chacun encore plus précaire… l’apparition de nouveaux conflits, etc.
Il apparaît maintenant avec certitude que les mesures qui ont été prises à la faveur de cette pandémie (restriction des libertés, du droit du travail, privatisation de la poste [1] etc.) ne seront pas les seules et d’autres encore que celles qui sont déjà prévues retraite, privatisation de la santé, etc.) sont déjà projetées.
« Plus rien ne sera jamais comme avant », dans le langage de « Netfix » qui a depuis longtemps déjà monnayé le désir de mort de chacun, cela s’appelle l’apocalypse.
C’est la nostalgie biblique du grand nettoyage (par un virus, une guerre ou autre chose) qui nettoierait la terre… pour donner naissance à un avenir purifié. Mais c’est oublier que dans toutes ces séries, les survivants ne font toujours que survivre… il n’y a jamais d’après… ni de lendemain…
Il n’y aura aucun lendemain à la situation que nous vivons, car nous vivons déjà demain aujourd’hui sans le savoir, et tout discours qui pourrait faire croire qu’un changement serait possible qui prendrait simplement le chemin inverse de celui qui a mené à la catastrophe actuelle (au sens large), n’est que le même discours du siècle précédent qui a mené aux mêmes défaites.
L’attente de lendemains qui chantent oblitère à chaque instant la révolte présente et tout espoir de changement restent un mirage.
Ce même mirage qui nous est vendu chaque jour par la bonne pensée officielle (celle de l’information) ou la mauvaise pensée officieuse (celle de la contestation).
Ce qui maintient ce confinement c’est la peur et cette peur est celle qui construira notre futur si nous ne parvenons pas à la dépasser.
Le constat de l’état du monde, bien qu’il soit en ce moment terrible, n’est pas son acceptation, dans le siècle passé, toute tentative de renverser ce monde s’est toujours soldée par des défaites, mais les défaites ont toujours une fin.
Notre projet c’est celui d’une vie où il n’y aurait pas comme seule perspective la capacité de nos enfants à supporter la douleur d’être ensemble.
Pourquoi attendre demain, alors que c’est maintenant qu’il faut agir.
La mémoire est courte et les moyens sont grands pour la transformer et l’effacer.
Ce que chacun a vécu doit trouver un sens.
Pour que le temps n’abolisse pas la mémoire des hommes.
Comme nous le disions précédemment :
« Le fossé reste à combler entre ceux qui étaient spectateurs lors des émeutes précédentes et qui sont maintenant acteurs et les acteurs sans paroles devenus aujourd’hui spectateurs ; il semblerait que la victoire pourrait être réalisée par l’union de ceux qui sauront transformer la violence de rue en violence de la parole avec d’autres qui sauront transformer la parole publique en violence de rue, certains y contribuent déjà.
Dans le débat, la réappropriation du monde commence par la réappropriation de la violence. »
Qu’en mai des millions de fleurs s’épanouissent.
Mai nous appartient !!
International Socièty of Historical Defeat.
Mourad Beleksir
Najet Benshorf
Mars 2020
https://paris-luttes.info/qu-en-mai-des-millions-de-fleurs-13845