Hiver en France

                      

Note : l’exhaustivité, cette prétention de la conscience à tout connaître et rationaliser, n’est pas une ambition ici où seulement une ambiance est présentée.

 

Au soleil du monde, depuis l’insurrection argentine de décembre 2001 et tous ses développements continentaux jusqu’aux nombreuses émeutes de Chine -en passant par les anciennes Indes, l’Asie centrale et occidentale, l’Afrique septentrionale et subsaharienne, le Pacifique -on observe depuis quelques années à peine une nouvelle prodigalité de révoltes, après la dizaine d’années de ressac consécutive à la première grande vague mondiale d’émeutes modernes (urbaines, sans chefs et non-planifiées) simultanément au tournant de 1991. C’est depuis la révolution française que des pauvres dépourvus de théorie font l’histoire en se révoltant, occasionnant une perte, comme un retard, de la conscience des observateurs de plus en plus dépassés par les événements. Mais c’est depuis le siècle dernier, de 1921 à 1981, que les partis officiels de la révolution qui s’étaient essentiellement construits comme la conscience de l’émancipation économique ont été fermement combattus par les foules révolutionnaires qui les débordaient, contraignant leurs propres chefs qui n’avaient plus grand auditoire à fusionner avec ceux de l’ancienne petite-bourgeoisie et, faisant apparaître l’irréalité de la « classe ouvrière » alors qu’elles avaient auparavant consenti à s’organiser autour, elles ont perdu la conscience de leur propre projet. Les révoltes, débarrassées de leur encadrement pseudo-révolutionnaire, en étaient encore principalement au retour à l’immédiateté de l’émeute lors de la génération précédente ; aujourd’hui, elles cherchent principalement, en actes, son dépassement. L’ampleur de nombre d’événements qui font cette jeunesse du monde et ce qui apparaît comme une nouvelle montée des eaux révolutionnaires se situent désormais entre l’émeute et l’insurrection (des faits assez courts -quelques jours- mais si vigoureux et fulgurants qu’ils gagnent tout un pays et menacent ses fondements– comme au Togo en avril 2004).

L’information occidentale se présente comme le principal centre d’émission de la pensée du monde ; comme une aliénation de la conscience dans des amalgames prescriptifs et moraux. Dans le brouillard de ces forums de discussion middleclass on nie la réalité en essayant d’éterniser certaines apparence de l’être de manière séparée, dans le langage desreprésentations qui prétendent s’y substituer. Ainsi, les rapports dominants sur les faits entravent leur convergence et les possibles de la nouvelle époque semblent s’évanouir dans l’infini scolastique de l’information. C’est en Occident que sont apparus pour la première fois les mass media, la middleclass, puis leur libéralisation. Aucune insurrection depuis n’a eu lieu dans cette forteresse qui se veut un petit paradis idiot et cette société a durablement pu s’incruster tout en vieillissant vite, si bien qu’en balançant son agonie elle se croit éternelle. Le négatif s’y éloignant progressivement des mouvements de manifestation de l’insatisfaction des pauvres (qui ne sont justement plus appelés, la plupart du temps, « révolutionnaires » mais « sociaux ») a permis l’exclusion réciproque de ces derniers et les luttes séparées y ont fleuri (puisque dans ce texte il va être question de la France, citons les paysans, les camionneurs, la fonction publique en 1995, les chômeurs en 1997-1998, les lycéens en 2005…).

Rien n’illustre mieux la lourde prégnance de sa vieillesse que les difficultés du négatif à y apparaître, à percer le suaire de ses idéologies, son manteau boueux qu’elle rêve blanc, épais jusqu’à la nausée. Les dernières révoltes les plus importantes en France sont éloquentes : d’assez faibles intensités, étalées sur la durée et comme subjuguées par la lourde chape de l’information. Mais Novembre en 2005 et CPE en 2006, qui sont en eux-mêmes mineurs pour le monde, sont pourtant apparus comme parmi les plus importants événements sur la scène de l’information mondiale. Les raconter a l’intérêt, outre celui local de voir la réalité chercher à percer ici aussi, de montrer à partir de quoi elle le fait, ce qu’elle fait et, en l’occurrence, pourquoi là les forces en présence ne l’ont pas permis effectivement. C’est-à-dire faire voir que, concrètement, l’information mondiale a utilisé le mécontentement des pauvres de France dans son organisation planétaire du spectacle parce qu’elle est arrivée à un moment où (dans sa volonté illusoire d’annihiler définitivement le négatif et après avoir fait entre autres l’apologie de la fausse révolte quotidienne privée avec les « styles de vie » postsitus) pour subsister elle tente d’organiser la fausse révolte quotidienne publique. Pour ce faire, elle s’expérimente sur la société où a le plus d’assise.

Novembre est un putsch de l’information pour maintenir la suprématie des vieilles consciences sur des événements. C’est l’organisation complète d’une résistance de la pensée du fait contre la part négative, réelle du fait. Cette contradiction du fait veut aujourd’hui être supprimée aussi par l’ennemi qui progresse dans ses méthodes de répression. La menace insurrectionnelle a été estompée de manière préventive. Là où l’ennemi a réussi c’est que Novembre est apparu visiblement comme la soumission totale de l’événement à la pensée de l’événement, en France et dans le monde, comme un simple moment pratique qui confirme la théorie, dans le monde et en France. C’est évidemment faux : un aussi curieux phénomène ne s’était jamais produit et les actes ne correspondent pas à ce qu’on en a dit. Le déploiement gigantesque d’une artillerie visuelle et sonore dans tous les médias disponibles sur la planète montre à quelles extrémités l’ennemi est réduit pour se maintenir dans les consciences, pour diffamer la révolte ; c’est devenu une nécessité pour lui que son discours soit intégré parce que l’époque est à l’offensive. Mais il s’est maintenu, et encore après le CPE qui n’a pas vraiment su avancer plus loin la critique, contribuant notamment au renfort autosatisfait du spectacle de l’insatisfaction. L’aliénation dans l’histoire dépose la conscience du temps, qui veut maintenant éterniser ses anciennes prérogatives, dans un monde qui la dépasse mais qui de ne pas le savoir se perd.

La révolte des banlieues françaises d’automne 2005, c’est d’abord un jeu contre la police, contre son contrôle des humains et ce qu’elle prétend être leur identité. C’est d’abord la brutalité de ses chicanes iniques (qui se multipliaient depuis quelques années corollairement à la réorganisation dans leur croissance des effectifs de la police française) qui a soulevé l’indignation des pauvres. Lesquels, en se soulevant, ont finalement attaqué l’ensemble ce qui leur était indigne (police, école, commerce). Cette colère-là ressemble à d’autres. La même cause (une bavure), avait déclenché par exemple des émeutes en Algérie en 2001, même s’il n’y avait alors pas eu de pillage, et même si le fait de nommer l’indignationgénérale (la hogra) face aux comportements des gouvernants avait permis une insurrection en Kabylie. Mais même au cours de cette année 2005 et même en se concentrant uniquement sur cette petite région du monde contrôlée par l’Etat français, lequel réorganise actuellement sa police, on observe de fortes parentés. Dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, à la suite d’une bavure lors d’un contrôle d’identité (1 blessé grave) le 8 mars, une partie du voisinage se solidarise (6 flics blessés, 5 vitrines brisées, 8 autos et 2 cabines téléphoniques endommagées). Un peu plus de 3 semaines plus tard, après la mort d’un adolescent poursuivi par la BAC à Aubervilliers, en banlieue de Paris, 10 voitures brûlent (15 arrestations). Le 16 octobre, c’est Vaulx-en-Velin, cette banlieue de Lyon aux antécédents célèbres, onze jours avant, à partir des mêmes motifs allégués (« plusieurs soirées de trouble, émaillées d’affrontements entre groupes d’adolescents et forces de l’ordre »).

La jeunesse affronte la police après que cette dernière l’ait agressée. Ainsi devient elle légitime dans l’information qui prend le relais. En vérité la cause motrice est seulement déclic et on n’a pas besoin de légitimité : le sens de la vie se fonde lui-même (voilà toute l’histoire). A Perpignan, dans la nuit du 23 au 24 mai 2005, suite au lynchage d’un homme par un groupe de gitans quelques vitrines sont brisées au centre-ville, et quelques poubelles brûlent tandis qu’au nord de la ville des voitures de police sont caillassées et qu’un procureur est pris à partie. Et le 29, dans la même ville, un nouveau meurtre d’origine non-policière a lieu à 18h45. « Les premières voitures ont été renversées à 20h05, rue du Maréchal Foch ». Les manifestants traversent le centre-ville et saccagent commerces et voitures, incendiées de même que des poubelles. Aux abords de la place Cassanyes, les manifestants se heurtent à un cordon de CRS (« 425 hommes déployés dès le début de la soirée »). Et cassent les vitres d’un commissariat avoisinant. « Au milieu des flammes et des affrontements entre les forces de police et les casseurs, des coups de feu ont retenti depuis les fenêtres et les balcons des immeubles ». A 21h, les CRS ont repris le centre-ville. « Le front s’est déplacé dans la périphérie, jusqu’à 23h » : Baléares, Vernet. 50 voitures brûlées, 8 blessés, 37 arrestations (4 seront condamnés en comparution immédiate, le 31, de 3 à 12 mois de prison ferme). Contre les tentatives d’ethnicisation Arabes-Gitans par les médias français, un des slogans des pauvres en colère a ici été « Alduy [le maire de la ville], c’est fini », et même si la police n’avait rien à voir avec le meurtre particulier du début, les affrontements ont bien opposé des flics et des jeunes gens, non ces derniers entre eux. La véritable cause apparaît à la fin : c’est l’Etat et la marchandise qui, parce qu’attaqués par la jeunesse, se révèlent les agents généraux de la mort de tous.

On a parlé de Novembre 2005 comme de la révolte des cités de banlieue. Or qu’est-ce à dire ? Banlieue : « (ban et lieue, étendue du ban seigneurial), sf. Territoire dans le voisinage et sous la dépendance d’une ville. La banlieue de Paris » ou encore : « Ensemble des agglomérations qui entourent une grande ville ». Territoire : « Etendue de la surface terrestre sur laquelle vit un groupe humain […] Etendue de pays sur laquelle s’exerce une autorité, une juridiction ». Agglomération : « concentration d’habitants, ville ou village », agglomérer : « Unir en un bloc cohérent (diverses matières à l’état de fragment ou de poudre –» agglutiner), en utilisant un liant », agglutiner : « Coller ensemble, réunir de manière à former une masse compacte […] Les passants s’agglutinaient devant la vitrine ». Cité : « (lat.civitas) sf. Autrefois, territoire dont les habitants se gouvernaient par leurs propres lois. // Droit de cité, la jouissance de tous les droits politiques communs aux citoyens. // Corps des citoyens […] // Cité ouvrière, grand bâtiment destiné à loger les ouvriers » ou encore : « Ville importante considérée principalement sous son aspect de personne morale. […] Groupe isolé d’immeubles ayant même destination. Cités ouvrières, les cités de banlieue ». Ces différentes définitions contradictoires expriment l’aliénation de la ville, des humains dans l’histoire. Autrefois, la cité aurait été une forme d’organisation sociale de la liberté des villageois dans des lois consenties, l’identité des citoyens jusqu’à un corps n’étant autre que leur projet en mouvement. Mais une cité contemporaine serait seulement un grand bâtiment destiné à loger les ouvriers. L’identité dans la banlieue considérée comme une étendue d’habitations est une identité des bâtiments, des murs, au moyen d’un liant, pour une même destination. Les citoyens, parmi la population des villes anciennes, sont la cité, les riches maîtres ; les habitants des villes modernes sont utiles à la société, la cité n’étant plus qu’un encadrement, un territoire par essence policier, en attendant le travail. Dans les banlieues contemporaines, l’aliénation marchande (la circulation autonome des produits du travail) l’a emporté sur la liberté humaine comme fin, ainsi, aujourd’hui, partout il y a des banlieues. Les différentes métropoles de la planète sont des regroupements de banlieues. Et la publicité, l’information spectaculaires en sont le seul véritable liant (on appréciera l’exemple du dictionnaire pour la définition du verbe agglutiner). En France on observe une centralisation parisienne du spectacle national. Ainsi l’urbanisme de Paris reflète-t-il bien les rapports spectaculaires généraux : un centre-musée reconstruit en toc et autour des bureaux, des usines, des pavillons middleclass et donc ces tours d’immeubles qu’on appelle des « cités », dans lesquelles ont été relégués littéralement pour certains les enfants de ceux qui, il y a un demi siècle, survivaient dans des bidonvilles autour de Paris. La quasi impossibilité de sortir de ces camps d’une main-d’œuvre devenue inutile, l’absence de la plupart des infrastructures de même que la grande proportion de mineurs, d’étrangers et de chômeurs, c’est-à-dire de catégories sociales exclues de la visibilité et de la reconnaissance pseudo-humaine en vigueur, en sont des éléments constitutifs. Le souverain, le seigneur dans la métropole c’est l’aliénation, c’est-à-dire personne. Les soulèvements des humains des métropoles cherchent essentiellement à renverser cet état de fait apparent –ils sont en cela de profonds cris de liberté, d’humanité. Les tumultes de l’aliénation ont prouvé que la réalisation des humains ne saurait se trouver derrière l’idéal d’une cité délibérante, ce que persiste à croire la middleclass.

Depuis que des dizaines de voitures brûlées à Strasbourg lors du passage à la nouvelle année 1997 ont été abondamment filmées et retransmises à la télévision, le réveillon et le 14 juillet ont été institutionnalisés comme un rendez-vous médiatique pour toute une fraction de la population qui se manifeste à ces occasions de manière unitaire dans l’information (à travers la simultanéité d’incendies massifs de véhicules et, souvent, la prise à partie de policiers). Ces incendies réguliers mais dépourvus d’événement déclencheur, qui semblent spécifiques à la France, sont devenus des rites, pour les participants et pour l’information qu’ils soutiennent et servent désormais puisque, depuis dix ans et à grands renforts de sociologismes, elle a développé progressivement son cliché des « révoltes » endémiques en marge de son forum qu’elle présente éternel. Mais, depuis quelques années, ces rituels semblent en forte stagnation sinon en perte de vitesse, si l’on en croit l’indicateur de base de l’information (au matin du 1er janvier 2003 « 379 véhicules ont fait l’objet d’incendies criminels (…) baisse de 2,32 % par rapport à 2001 », le premier jour de l’année suivante 324 véhicules sont décomptés et en 2005 seulement 300).

L’automne, localement, s’annonce assez chaud : des grèves dures au port de Marseille qui ont repris ont donné lieu à Bastia à une émeute les 27 et 28 septembre (à l’annonce de l’arrivée d’un cargo détourné par les grévistes : attaque de la police, d’une entreprise navale privée et déjà de journalistes ; le lendemain matin après l’assaut dudit cargo par le GIGN premiers heurts avec les CRS et saccage d’un bureau de recrutement de l’armée ; en début de soirée la foule ne laisse pas parler la délégation syndicale et affronte la police) et à une autre le 1er octobre (contre la police, des commerces et tabassage un journaliste de l’AFP parce qu’il avait impunément mouchardé). Le 25 octobre à Arzew en Algérie et le 26 à Matoury en Guyane française, ce sont des opérations de démolition qui provoquent d’importants affrontements (émeute qui soulève au moins 3 quartiers entiers de la ville dans le premier cas, attaque de véhicules la DDE, d’EDF, de la mairie, de 3 voitures RFO Guyane et de véhicules de télévision privée dans le second cas). L’automne qui s’ouvre fait apparaître la critique de l’information comme une préoccupation majeure des émeutiers.

Jeudi 27 octobre 2005, suite à la mort de deux adolescents électrocutés parce qu’ils s’étaient cachés dans un transformateur électrique pour échapper à la police lors d’un contrôle d’identité, des affrontements éclatent en fin d’après-midi à Clichy-sous-Bois (département de Seine-Saint-Denis), contre les secours et, jusqu’à 2h00 du matin, contre 300 policiers. Des abribus et les vitrines d’un centre commercial font les frais de cette nuit-là, comme les vitres d’un centre de tri postal. 9 voitures rattachées, un car de la mairie et un camion-citerne brûlent. Une école est attaquée. Le lendemain dans la même ville, vers 21 heures une petite centaine d’individus attaque des CRS en patrouille avec des cocktails Molotov et autres bouteilles, pierres, barres de fer. La réaction se fait par flash-ball et grenades lacrymogènes. Les manifestants tirent quelques balles de gros calibre. Cet affrontement attire et c’est 400 jeunes gens qui se battent maintenant contre 300 policiers, incendiant voitures et poubelles. Dispersion entre minuit et 1h.

Dès le premier soir la colère a plusieurs objets. Le lendemain, deuxième moment de cette émeute, elle se focalise sur la police. Le samedi 29, une marche pacifiste en mémoire des morts a lieu à Clichy-sous-Bois. Rien n’est relaté hormis quelques voitures brûlées comme chaque jour de l’année en France, et des arrestations. Le dimanche 30 octobre, à 21h une grenade lacrymogène est lancée par la police contre une mosquée de Clichy-sous-Bois en pleine cérémonie. Ceci relance de nouveaux affrontements avec la flicaille non loin. Le lendemain, ‘Le Figaro’ fait le bilan de 29 arrestations en tout jusque là, et ajoute une maison associative vandalisée aux dégâts.

Avec toute l’arrogance d’une droite revancharde, la vedette-ministre de l’Intérieur Sarkozy (qui en visite à Argenteuil 3 jours plus tôt s’était fait siffler, insulter et des projectiles avaient même été lancés des étages des immeubles, en sa direction), présente dans les médias dès le 28 les 2 morts électrocutés comme des cambrioleurs -ce qui est faux. Il nie surtout, dans un premier temps, le rôle de la police dans le déclenchement des affrontements du 30 et ceci, superposé à sa considération du 27 comme étant « une nuit d’émeutes, je dirais une de plus », prépare en fait le terreau idéologique de l’information, laquelle sera la première répression des faits. La télévision en effet, restée largement sur le commentaire des événements, recrache immédiatement les versions successives de sa mascotte de ministre, tout en le présentant comme responsable : zappant l’épisode de la mosquée, elle parle bruyamment la soirée du 30 comme de la continuité directe des précédentes et les pose, toutes, en équivalence, décrivant une intifada en l’appelant en fait. La presse transforme définitivement l’omission utile en mensonge officiel : ‘Libération’ parle de la soirée du 30 octobre comme de la quatrième nuit de « violences », de même que tous les commentateurs par la suite (‘Le Monde’ daté 2/11 : la ville « a connu, les 31 octobre et 1er novembre, sa cinquième nuit consécutive de violences urbaines »). Dans le même mouvement l’information mondiale se jette sur les rapports français et les répand à l’étranger (ils feront des unes de la Chine aux Etats-Unis). Ainsi le lundi 31 tout le monde a-t-il pu penser du 27-28 jusqu’au 30 qu’il s’était agi d’une seule émeute chaque jour (alors que pas d’affrontements le samedi et quelques-uns le dimanche à la fois différents quand à leur motif et vraisemblablement moins importants), ainsi naît le spectacle des émeutes quotidiennes qui va faire ce mois de novembre. Au cours duquel, pourtant, on ne trouvera aucune foule en émeute (mais toujours des petits commandos ou bien des groupes qui se connaissent tous) tandis que celle qui dans l’information a initié ce mois, les 27-28, doit en être rigoureusement distinguée.

Novembre commence le lundi 31 octobre au JT puis dans la rue quand les téléspectateurs y descendent. Puisque c’est l’intifada, ailleurs qu’à Clichy-sous-Bois on décide de manifester visiblement sa présence, laquelle doit, pour être apparentée, s’insérer dans le même étalon de mesure : difficile donc de ne pas reproduire ce qui a été vu à l’écran, difficile de libérer son imagination. Quand les révoltés sont des spectateurs qui se règlent sur le téléviseur pour décider de s’activer, l’information a prouvé sa puissance. Elle peut se permettre de parler d’eux, beaucoup, même d’en faire la promotion, même d’organiser la visibilité des-exclus-qui-ainsi-cessent-de-l’être (on a vu des bandes poser littéralement pour des photographes et des journalistes suivre, avec leur consentement, des groupes allant par ailleurs agresser leurs confrères –tout ceci finalement faisant partie du spectacle) en réifiant le profil de caillera.Elle peut se le permettre car la menace reste faible. Pour les médias français, les banlieusards resteront au-delà du périphérique ; pour les médias étrangers, les vandales resteront en France. Et puisqu’on les a fait descendre dans la rue, on pourra bien les faire rentrer chez eux.

Dans l’information Novembre a été à la fois repoussoir et éclipse. Dans la division internationale du spectacle, Novembre, l’automne 2005 en France est celui de la pseudo-Intifada occidentale (Cf. ‘Weekly Standard’, ‘Al Jazira’, ‘Le Parisien’…). Le pauvre américain qui voit sur CNN « Muslim Riots » et « Paris burning » à côté de « Bagdad burning » peut assez difficilement voir ce que font vraiment les révoltés ; le pauvre chinois croirait que des soulèvements importants se passent en France et presque aucun chez lui ! Aussitôt la fumée de ce lacrymogène dissipée surgit un autre piège : si des révoltes sont quotidiennes et que la société attaquée reste debout, l’effet de cette tromperie est de désamorcer le négatif. Des soulèvements qui ne menacent rien en effet sont ennuyeux et peu sympathiques.

Bien que la droite française et que des syndicats policiers aient parlé de guerre civile ethnique et d’islamisme, il semble que le spectacle fut nettement plus raciste à l’étranger, assimilant par exemple, en Russie, à la Tchétchénie. Les révoltés de banlieue n’ont pas adhéré à ces récupérations racistes, se sentant avant tout parias de cette société identifiés par leurs révoltes. Mais la colère de cette jeunesse, d’où le mouvement s’est échappé, s’est tout de même perdue dans une représentation médiatique à laquelle elle a adhéré. En apparence sans discours parce que sans projet avoué, les acteurs de Novembre, sans critiquer en profondeur la visibilité qu’on leur donnait là, comme s’ils voulaient rester soumis à la pensée middleclass (en y entrant sous une forme grossièrement anti-middleclass), se sont en fait avérés plutôt bien parler le langage de l’information. Les incendiaires en répondant à l’appel médiatique, ont certes accompli la première généralisation des troubles de banlieue qui est apparue contre l’Etat français comme un retour de la radicalité –rien n’est proscrit pour étayer le feu- d’un « mouvement antisocial » négatif des précédents « mouvements sociaux ». Mais les très faibles effectifs des participants (peut-être 10 000 au plus fort des événements) et leur enfermement n’ont pas permis de dépassement (le commando qui permet un affrontement plus vaste et continue l’émeute, le 28 octobre, après avoir attaqué un car de CRS, semble être resté une exception). C’était une négation simple, elle-même séparée et confinée géographiquement (les incendiaires ont détruit l’environnement de leur survie quotidienne, déjà désolé, précisément parce que c’est le lieu désolé de leur survie quotidienne –« c’est ici que je veux que les choses se passent ». Mais n’être presque jamais sorti du territoire a donné raison à l’information qui voulait faire croire que ces insoumis étaientseulement des vandales de banlieue et non pas un ferment révolutionnaire pour l’ensemble de la société). Une transgression en profondeur a été empêchée et biaisée par la culture de l’information.

Le lundi 31, alors que l’information travaille et que plusieurs centaines de policiers surveillent les quartiers en permanence à Clichy-sous-bois, à 21h des affrontements moins frontaux y ont lieu. Des musulmans tentent vainement de s’interposer, montrant que l’indignation de la veille ne signifiait pas essentiellement un soutien à l’Islam. Le garage de la police municipale de Montfermeil est brûlé vers minuit. Dans cette ville, les policiers rentrent dans des immeubles d’habitation, du haut desquels avaient fusé quelques projectiles plus tôt. Egalement des incendies (mobilier urbain, voitures, poubelles, conteneurs à ordures) et autres caillassages à Aulnay-sous-Bois, Bondy, Sevran, Neuilly-sur-Marne, Bobigny, Pantin, Aubervilliers, Chelles. (15 arrestations, 1 policier blessé). Premières condamnations, lors d’un jugement tendu en « comparution immédiate » (3 hommes interpellés dans la nuit du 28 au 29 écopent de 8 mois de prison, dont 2 fermes). Pendant les 3 jours suivants, tous les aspects de ce vieux monde sont pris à partie. L’Etat : on affronte directement la police, depuis la route jusque dans la cité à Aulnay-sous-Bois, mais aussi à Dugny, tandis qu’on la harcèle en maints lieux. Au moins à La Courneuve et à Noisy-le-Sec, on tire sur les policiers et pompiers à balles réelles, à la grenaille à Neuilly-sur-Marne. Voitures, camions, bennes à ordure ou de chantier, bus, tramways et trains sont attaqués, parfois en circulation (victimes civiles : un conducteur et une passagère de bus partiellement brûlés). Le 4 novembre, la SNCF annonce sa décision que tous les trains de la partie nord du RER B seront désormais accompagnés en soirée par des agents de police ou des vigiles. La marchandise : mardi 1er novembre, alors que près de 70 voitures brûlent, la plupart des lieux concernés sont encore situés en Seine-Saint-Denis, mais plus à Clichy : les violences désormais sont étendues à tout le département, elles peuvent à nouveau diversifier leurs cibles et attaquer la marchandise, qu’elles avaient momentanément épargnée dans un détour concentré sur la police. Enfin l’information, plus tardivement, comme un symptôme de négligence, le mercredi 2 (attaquée en la personne de ses émissaires : plusieurs journalistes se font agresser -« Arrêtez de Tourner ! Télé Sarkozy ! »- et leurs voitures, quand ils en ont, sont détruites). Ce jour, cette nuit-là où 228 voitures brûlent, commencent aussi à poindre d’autres villes d’Ile-de-France dans des faits encore plus offensifs (des commissariats sont attaqués à Antony et dans les Yvelines, une antenne de police à Aulnay-sous-Bois). Le centre social, qui a été incendié le 2 au Blanc-Mesnil juste après un gymnase, était présenté comme suit par le journaliste qui a rapporté les faits : « Carrefour associatif où se retrouvent depuis des années toutes les générations, lieu de convivialité essentiel dans ce quartier socialement sinistré […] la Maison pour tous est l’un des poumons vitaux des Tilleuls ». Jeudi 3, au moins quatre départements en région parisienne sont touchés tandis que les premiers incendies massifs de voitures ont lieu en province (315 dans toute la France. 15 arrestations dans la nuit de mercredi à jeudi, « portant le total à 89 en trois jours ». 1 blessé grave côté CRS la même nuit. Par ailleurs, deux peines de 1 et 3 mois de prison ferme sont prononcées le 2 au tribunal de Bobigny pour avoir participé à des « attroupements armés » lundi 31 à Clichy-sous-Bois ; le 3, à Bobigny, un homme de 19 ans prend 2 mois ferme, un autre 3 mois de sursis et 105 heures de TIG. Un cocktail Molotov sera jeté contre le tribunal dans la nuit). Le président Chirac en conseil des ministres appelle à l’apaisement des esprits.

Les 5, 6 et 7 novembre (respectivement 897, 1 295 et 1 408 véhicules brûlés) ont lieu partout plusieurs dizaines de confrontations mineures avec la police (une bonne connaissance des lieux permet de surprendre des policiers aussi nombreux et toujours mieux équipés). Le 31 octobre déjà, la préfecture de Seine-St-Denis avait récusé le terme d’ « émeute » pour évoquer des « actions de harcèlement » menées par des petits groupes de dix à quinze assaillants. Comme dans le grand pillage, les foules et le centre-ville en moins, on s’attaque aussi bien aux agents de l’Etat qu’aux bâtiments, si bien que tout, ou presque, est attaquable et la révolte est imparable. Crèches, maternelles, écoles primaires et collèges, encore davantage que les lycées, sont attaqués massivement partout, en plus des centres sociaux et associatifs, gymnases et terrains de sport saccagés ou brûlés (jusqu’à une aire de jeux à Vernouillet) : c’est un concept pluriséculaire de l’éducation qui est attaqué de fait, le projet des Lumières a échoué. Casernes de pompiers et mairies n’échappent pas à la colère. Garages, petits et gros commerces (du café-tabac au supermarché en passant par le magasin de musique), restaurants, banques, entrepôts, usines, concessions automobiles et agences de location, toutes ces pseudo-richesses aliénées chosifiées sont rattrapées par la critique à des dizaines de reprises -la plupart du temps brûlées, plus rarement pillées. Les groupes le plus souvent sont des commandos -de quelques dizaines au mieux- de très jeunes gens (il semble que la propension à l’incendie et donc la haine de la marchandise ait été en raison inverse de l’âge). D’autres lieux de culte, ceux plus anciens de monothéismes, sont visés aussi.

Voici l’énumération de quelques-unes des solutions tactiques échafaudées par le parti de l’ordre. Police : division en une multitude d’équipes réduites qui tentent d’être aussi réactives que leurs assaillants, à la préfecture qui coordonne les actions un tableau informatisé enregistre chaque minute l’évolution de la situation ; pompiers : accompagnement de chaque véhicule par une voiture de soutien et une escorte policière, stationnement en marche arrière à l’abri des façades, pas de gyrophares ni de sirènes, intervention seulement s’il y a risque de propagation du feu sur un autre véhicule. Ces derniers dispositifs seraient inspirés de ceux utilisés « pendant trente ans en Ulster… ». Des bâtiments sont laissés éclairés la nuit. Certaines arrestations sont faites directement après délation du voisinage. Des habitants patrouillent la nuit dans leurs propres quartiers pour protéger tout ce qui est bien (« On fait connaissance depuis quelques jours. Jusqu’ici, on ne se connaissait que de vue »). Certains sont équipés de talkies-walkies, descendant faire des rondes parfois suite aux appels de mairies, mais souvent de leur propre chef ; ils sont quelquefois composés de policiers retraités. Egalement, quelques patrouilles de musulmans à l’appel de mosquées. Ainsi, samedi 5 à Drancy, deux frères de 14 et 15 ans sont livrés à la police par des riverains. Vendredi 5 au soir a lieu à Stains (banlieue de Paris) une altercation entre un groupe de jeunes gens et deux retraités qui montent la garde devant leur immeuble pour sauver poubelles et voitures. Ces vieux se font frapper au visage ; l’un d’eux s’étant cassé la tête en tombant mourra dans son coma quelques jours plus tard (sa femme parlera de vengeance). Ce sera le seul mort avoué des affrontements.

Alors qu’une marche pacifique a lieu ce matin-là à Aulnay-sous-Bois contre les violences, ce n’est que le samedi 6 que des villes de province rejoignent la banlieue de Paris avec la même intensité que celle-ci, montrant d’abord qu’elles-mêmes sont des banlieues seulement un peu plus éloignées (Bordeaux, Pau, Toulouse, Nice entre autres…). Citons Evreux, où des affrontements avaient déjà eu lieu fin février 2002, pour exemple peut-être le plus extrême. Dans cette ville dont le maire est le porte-parole du gouvernement UMP, « sur la place centrale, les vitrines de la Poste, d’une pharmacie, d’un magasin de location de DVD et celles de 3 banques ont été brisées » ainsi que celles d’une laverie, d’un coiffeur et d’un autre commerce. 6 autres brûleront les jours suivants. Feux de voitures. Affrontements avec la police à coups de pioches, de boules de pétanques, de cocktails Molotov contre des balles en caoutchouc. Attaque de la mairie de quartier et de l’antenne de police par 200 personnes. 4 flics blessés, aidés ici par deux hélicoptères. Le mouvement culmine le dimanche 6 novembre alors que la région parisienne reste active (Saint-Denis, Aulnay-sous-Bois, Trappes, Triel, Maurepas, Suresnes, Rueil-Malmaison, Asnières-Genevilliers, Villeneuve-la-Garenne, Roissy-en-Brie, Saint-Maurice, l’Haÿ-les-Roses, Alfortville, Bonneuil, Villejuïf, Boissy-Saint-Léger, Orly, Savigny-sur-Orge, Fleury-Mérogis, Argenteuil, Montmagny et Soisy…) et que la province brûle en maints endroits (Toulouse, Perpignan, Sète, Nîmes, Vaulx-en-Velin, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne, Roanne, Strasbourg, Orléans, Tours, Nantes, Lille…). Ce jour a aussi lieu ce qui semble l’affrontement le plus violent avec la police. Il se situe à près de 20 km en banlieue sud de Paris, à Grigny, dont le maire est le porte-parole du parti PS d’opposition. Dans le quartier du Méridien en effet, « 200 jeunes affrontent les CRS depuis la fin de l’après-midi » après leur avoir tendu un guet-apens à l’entrée de « la Grande Borne », cité enclavée entre trois routes. La bataille rangée dure 4 heures, entre autres sur la RN 445. Les manifestants, outre lancer des pierres, utilisent un fusil de chasse et un pistolet à grenailles. Les flics élargissent leur cible en tirant aussi sur les fenêtres des immeubles avoisinants. Des vitrines de magasins environnants font les frais des affrontements (3O CRS blessés dont 2 par armes à feu). Depuis le début des événements, en France, 1 206 personnes (bilan du ‘Monde’) et 800 (‘Libération’) auraient été arrêtées, les 3/4 à partir du jeudi. En outre jusque-là, 20 personnes âgées de 18 à 25 ans auraient été condamnées à de la prison ferme en région parisienne.

Le 6 et le 7, incidents à Brême, Berlin, Bruxelles. Un « graffiti injurieux à l’adresse du ministre français de l’intérieur » sera retrouvé près d’un véhicule incendié à Deurne, dans la banlieue d’Anvers … C’est à la suite de ce week-end où les événements sont à leur degré maximum en France et où le copycat commence de déborder les frontières dans des villes sans banlieues à la Française que les médias semblent enfin apeurés : tous vont rapidement se taire, comme s’ils s’étaient trompés dans leur calcul de la dangerosité (France 2 ne cite plus le nom des quartiers, « France 3 a décidé de ne plus annoncer dans ses journaux nationaux le nombre de voitures incendiées » peut-on lire dans ‘Libération’ qui, en 10 pages, ne dit rien de plus que de tels décomptes carrossiers. Le spectacle des grands hommes est efficace : un jeune homme déclare aux journalistes « Il y a d’abord une phrase de monsieur Sarkozy qui a tout déclenché »). 

Lundi 7, 5 hommes sont condamnés de 4 à 8 mois de prison ferme. Au palais de justice de Bobigny comparaissent tant de gens « que trois chambres correctionnelles -au lieu d’une en « temps normal »- ont été dévolues aux comparutions immédiates promises par le Premier ministre ». Ce Villepin est l’invité du téléjournal de 20h à TF1. Il déballe sa principale initiative de répression : une semaine après qu’elle ait été préconisée par le Front National est annoncée une loi élaborée par le gouvernement Faure en 1955 pour déclarer l’état d’urgence en Algérie (elle avait été réutilisée en 1961 et en 1984-85). Donnant aux préfets l’autorité de l’instaurer, cette loi votée par décret le lendemain matin en conseil des ministres permet essentiellement des couvre-feux en ville et étend à peu près à tout ce qui n’était pas encore le cas les pouvoirs de la police (perquisition à domicile la nuit, etc.). Vil pain ajoute, prends ça dans la face, que 1 500 réservistes gendarmes et policiers vont être envoyés dans les banlieues soutenir les 8 000 robocops déjà en place. Les autres mesures sont des annonces : sur la fin du pseudo-collège unique qui permettrait de quitter l’école à 14 ans et non à 16 (ce projet sera intégré à la future ‘Loi sur l’Egalité des Chances’), sur le rétablissement des aides financières aux associations qui venaient d’être réduites par les mêmes politiciens peu avant. Le décret sur l’état d’urgence, publié le 9 au ‘Journal Officiel’, semble surtout permettre d’officialiser de manière tapageuse une répression accrue qui commence le 7. C’est aussi, plus simplement, un autre effet d’annonce. Le signal que les politiciens de droite lancent ostensiblement pour montrer qu’ils se décrispent (sans oublier de fustiger la gauche pour son introduction passée de l’assistanat dans la gestion de la misère sociale, méthode qui vient d’achever de démontrer son inanité puisque des révoltes continuent, contre la misère la plus crue ainsi que sa variante philanthropique, social-démocrate, la commisération. Ils proclament que « la récréation est finie », que l’heure est aux mesures coercitives). L’état d’urgence permet aussi un contrôle direct des médias. Considérant la simultanéité soudaine du silence des médias, les briefings du gouvernement à la presse étrangère (« cessez donc de décrier, c’est pas bon pour le tourisme ») et la perquisition de police pour un membre du journal Le Parisien, il est probable que des menaces aient été exercées par l’Etat français à l’encontre de l’information. Si cette dernière force, moins vieille, a certes tenu un rôle prépondérant tout au long des événements, elle a montré aussi les limites de sa marge de manœuvre dans sa collaboration avec l’Etat (en vérité elle inclut le personnel de l’Etat), lequel reste toujours la dernière ligne, armée, de défense du vieux monde marchand.

Mercredi donc, des couvre-feux sont instaurés entre autres dans certains quartiers d’Evreux, Rouen, Le Havre, Elbeuf, Amiens, Orléans (« plus 6 communes »), Grasse, Antibes, Cannes, Vallauris, Cagnes-sur-Mer, Villefranche-sur-Mer, Nice, St-Laurent-du-Var… Sarkozy, quand à lui, annonce bruyamment que 120 étrangers interpellés vont être expulsés, ce qui ne se produira pas. Le racisme, le vieux racisme négatif, « républicain » et colonisateur (et non pas sa réforme positive, l’égalitarisme communautaire) s’exprime à nouveau avec moins de complexes, dans un florilège ignoble et abêtissant : l’immigration, l’Islam, la polygamie sont les causes du Mal donc les immigrés, les musulmans et, tant qu’à faire, les Noirs et les Arabes font chier. Dans le contexte de l’Etat français, des Arabes et des Noirs sont nombreux parmi les pauvres les plus opprimés ; ils ont été ici plus nombreux, en proportion, parmi ceux qui se sont soulevés, que dans le reste de la population. Mais la révolte contre toutes les formes de la misère n’est ni noire ni arabe, cette recherche de la richesse est précisément la quête de l’universalité humaine. C’est l’ennemi qui veut étouffer la guerre dans des particularismes ethniques et religieux. En en souillant certains tant qu’il peut (ce qui a continué davantage avec Novembre) pour parvenir à renforcer leur assise et continuer à diviser les gens sur de fausses bases. Par ailleurs, des liens de propagande directs en faveur de l’UMP apparaissent sur le moteur de recherche Internet ‘Google’, dès qu’on s’intéresse aux banlieues. La gauche est à la masse (certains souhaitent, on sait pourquoi, « une forme de consensus politique ou syndical », un « Grenelle des quartiers » -mais ici nul Geismar comme interlocuteur, nul interlocuteur ; d’autres appellent à la démission de l’individu Sarkozy ; la plupart sont désespérés devant la négation concrète de leur discours et le parti trotskiste qui juge cette jeunesse stérile parce qu’elle brûle des voitures de « prolétaires » ne fait que projeter sur autrui ce qu’il refuse de s’avouer) tandis que les incendiaires de 2005 ne sont pas ceux de 1871 (pendant la « semaine sanglante » qui achève la Commune, les insurgés parisiens brûlent de nombreux bâtiments officiels de leur ville alors que celle-ci est définitivement reprise par l’armée, alors que tout est perdu. Aujourd’hui ce n’est pas un peuple mais des adolescents anonymes qui brûlent les bâtiments de villes qui ne sont pas les leur, non au moment de mourir mais pour naître).

A partir du lundi 7 novembre les villes de provinces seraient aussi nombreuses que celles de la région parisienne à accueillir des incendies. Et vraisemblablement dès le 8 elles sont plus nombreuses qu’autour de la capitale. Dès lors, le mouvement de France (contre tout ce qui peut être « France ») va progressivement diminuer, s’éparpillant davantage dans des actions de groupes toujours plus isolés, s’épuisant sans vouloir admettre l’évidence de l’impasse. Le centre-ville de la capitale épargné, dans un Etat centralisé, ses banlieues s’épuisent. Certaines villes de province prennent le relais momentanément, des quartiers voisins d’autres pays frappent à la porte. Mais on ne verra pas le phénomène de copycat renouveler les actes -bien que d’autres aspects de ce monde sont plus fréquemment à partie, comme la culture (un théâtre national ; un musée de la mine dans une ancienne ville minière…), qui avait à peine commencé d’être attaquée le week-end précédent. Samedi 12, dernier affrontement : alors que Sarkozy, de passage sur les Champs-Elysées, est sifflé et hué par des passants, Place Bellecour dans le centre-ville de Lyon, « les forces de l’ordre ont tiré des grenades lacrymogènes pour disperser des groupes de jeunes qui leur jetaient des projectiles et des poubelles. Ce sont les premiers [incidents] dans le centre d’une grande ville depuis le début des violences ». « Trois commerces seront légèrement endommagés mais le pillage n’aura pas lieu ». Pour la peine, un couvre-feu sera instauré dans cette ville. Dimanche 13 novembre la Commission européenne propose de débloquer 50 millions d’euros pour aider le collègue français, tandis que « La permanence d’un élu UMP de Fontenay-sous-Bois a été saccagée à coups de barres de fer ». C’est un des seuls événements rapportés pour cette nuit-là, mais ‘Le Monde’ daté du 2/12/05 affirme que « l’engagement maximum [des policiers] a culminé dans la nuit du 13 au 14 novembre avec 11 500 policiers et gendarmes mobilisés ». Bilan du ministère de la justice : depuis le 27 octobre, 375 personnes ont été condamnées à de la prison ferme ; depuis le 29, 2 618 personnes ont été conduites en garde à vue et 592 écrouées dont 107 mineurs. Mais selon « le bilan du ministère de l’intérieur établi au 30 novembre, 4 770 interpellations ont été réalisées […] débouchant sur 4 402 gardes à vue. 763 individus ont été écroués ». La moitié de la répression s’est effectuée après la fin du mouvement.

Le ‘Figaro Magazine’ indique le 19 novembre que les 3 semaines de troubles ont occasionné environ 200 millions d’euros de dégâts, dont 48 pour la seule Seine-St-Denis. Pour donner un ordre d’idées, les 3 jours d’émeute à Los Angeles en 1992 avaient détruit 4 fois plus d’argent (et fait 61 morts). On peut donc affirmer que des gens qui se battent entre potes, en assez petits comités sans descendre au cœur de la métropole sont, de fait, moins dangereux pour cette société. Leurs destructions répétées ressemblent à des actes de résistance, localisés, face à l’occupation, l’oppression étatique. Mais tout s’est passé comme si cette dernière empêchait simplement d’accéder à l’espace médiatique auquel ils aspirent en définitive. Malgré quelques tentatives avérées d’organisation (le samedi 5 novembre à 20h à Evry, après avoir interpellé « plusieurs jeunes qui s’enfuient d’un local désaffecté » des policiers « pénètrent dans les lieux et découvrent, stupéfaits, pas moins d’une centaine de cocktails molotov dont la moitié prêt à l’emploi, des jerricans remplis d’essence et des bouteilles vides. Les six individus interpellés sont tous mineurs ». Et ‘Le Parisien’ du 8 novembre écrit qu’en Seine-et-Marne « un lieu de stockage de produits incendiaires a été découvert ». Deux lieux de confection et de stockage d’armes découverts -donc d’autres encore probablement, heureusement restés officieux), aucune ne semble avoir émergé des événements eux-mêmes, du champ de bataille, comme résultat amenant de nouvelles possibilités –et en particulier une extension effective des combats. Les différents quartiers du pays n’ont pas cherché à prendre contact entre eux afin de développer une véritable subjectivité, une unité en dehors de l’information, parce qu’ils en étaient absolument dépourvus, dépendants du spectacle. Non-maîtres de la pensée de leurs propres actes, c’est jusqu’aux émotions que les participants ont exprimées, d’une manière si peu spontanée, qui ont été viciées. Le forum mondial des médias a sélectionné un fait et, monopolisant l’ensemble de la pensée mise en jeu, en a, de toutes pièces fait un autre, il faut bien le reconnaître, en y faisant participer parmi ses pires ennemis. L’émeute initiale a régressé dans des commandos quotidiens (lesquels manifestaient aussi une remontée de la conscience dans les faits offensifs via leur planification) et dans une représentation qui était lareprésentation de l’émeute-de-banlieue (qui s’applique à toutes les émeutes, à toutes les banlieues). En 1993, la Bibliothèque des Emeutes, identifiant celle-là comme la première émeute de télespectateurs, annonçait : « Voilà qui est nouveau : les émeutiers de Los Angeles ont d’abord été battus par un discours ! Et ensuite seulement par une police d’Etat ». En 2006 on peut affirmer que ce qui est nouveau c’est que des révoltés -pensant sans doute utiliser le discours ennemi, en prolongeant une offensive qui n’était pas le fruit de télespectateurs, celle du 27- ont, en Novembre, de bout en bout soutenu et contribué à ce discours dès son début factice le 31. Effectivement il y a eu quelques débordements, mais qui sont demeurés insignifiants dans l’offensive contre ce monde. A fortiori si l’on daigne considérer que de l’ensemble de ce mouvement, finalement, la middleclass est provisoirement sortie renforcée (sur sa droite), et l’information consolidée par un nouveau spectacle, l’Intifada occidentale. Faire l’éloge de Novembre dans son splendide isolement c’est donc soutenir les ennemis des insatisfaits du 27.

Cependant, contre le spectacle de l’événement séparé, des événements postérieurs à Novembre continuent d’explorer les fondements de l’indignation contre cette société. En Occident où l’Islam est généralement méprisé et particulièrement après Novembre, s’indigner de ce mépris est peut-être s’indigner de celui pour ceux-là même qui adhèrent à cette croyance. L’objet qui apparaît, de même que la manière dont il le fait, ne sont pas dissociable du lieu d’apparition (en Iran, le mépris occidental pour la personne d’un imam avait été l’événement déclencheur des premières manifestations ayant finalement elles-mêmes conduit à la chute du shah puis la prise de pouvoir par les islamistes en 1979 ; enfin,à la lutte révolutionnaire contre ces derniers. D’ailleurs, en 2004-2005, la génération d’après 1978 a, dans les premières émeutes nombreuses depuis la révolution, critiqué à la fois les supermarchés et les mosquées). Le 8 décembre à Saint-Genis-Pouilly a lieu la représentation d’une pièce de théâtre écrite par Voltaire et traitant d’un Mahomet dépeint comme cruel, manipulateur et lubrique. « Pendant le spectacle, des incendies ont détruit un véhicule, des poubelles et la porte d’entrée d’un collège; les pompiers ont été contraints d’intervenir sous des jets de pierre ».

Mais on peut voir que Novembre a davantage étayé le spectacle que la révolte dans la recrudescence des rituels de violence : dans la nuit du 31 décembre 2005, 425 voitures sont brûlées (362 arrestations, 13 gendarmes et 2 policiers blessés près de la Tour Eiffel). La critique du quotidien poursuit toutefois des développements : le 1er janvier à 6h, une centaine de jeunes gens est embarquée de force dans le train Nice-Lyon, après avoir subi des contrôles de police, parce que du petit vandalisme avait eu lieu dans un autre train. Ils saccagent deux wagons, agressent quelques passagers, dont un couple (« Pour Bruno L., un artisan joallier parisien, « ces jeunes nous cherchaient dans le train, parce qu’on râlait. J’ai tout de suite compris qu’il fallait planquer ma copine » »). Les fait ne seront révélés que 3 jours plus tard par l’AFP (et non par la police), relayée de manière spectaculaire. Le 15 janvier un concert est écourté à Gagny. 200 à 300 participants montent dans un RER à 18h00 en direction de Paris et chahutent, tirent le signal d’alarme. Le train s’arrête ; des gardiens, la police des transports et des CRS arrivent. Jets de projectiles contre lacrymo, flash-ball et « munitions non létales ». Vers 19h30, les policiers évacuent le train. « Seconde série de heurts avec la police » à la sortie de la gare, place Tavernier. 8 arrestations.

L’information a fait Novembre, qui sert l’Etat, cet agent (de police) de l’information. Le gouvernement de droite décide de profiter de Novembre pour continuer sa politique. Le 16 janvier 2006, le 1er ministre Dominique de Villepin annonce la création prochaine du « Contrat Première Embauche » (CPE), avatar d’une « Loi sur l’égalité des chances » (LEC) sensée répondre, comme indiqué plus haut, à Novembre. Le CPE doit garantir une intégration réussie par le travail (contrat réservé aux moins de 25 ans étendant à 2 ans la « période d’essai » qui permet à un patron de licencier sans motif son employé). C’est un projet de loi qui cherche essentiellement à seulement renforcer encore la condition de marchandise des salariés (privés qu’ils sont déjà de la maîtrise de leur activité), un projet qui, comme dans l’information, veut renforcer un constat. Pas de chance pour le protagoniste Villepin, le gouvernement va subir aussitôt de nouvelles huées, que l’information va soutenir à son tour jusqu’au retrait du morceau de texte avant de tout faire rentrer dans l’ordre, de tout arrêter insidieusement ici encore, puisque telle est sa principale fonction aujourd’hui : désamorcer les révoltes. Enième avatar d’une réforme structurelle (libérale) du capitalisme mondial, le contenu du CPE est aussi plus généralement la seule réponse des économistes à l’exigence par les pauvres de vivre leur humanité, qui leur propose l’infâme salariat comme pseudo-reconnaissance. Parce que pour ces méticuleux secrétaires, le travail constitue l’activité générique.

Le mouvement anti-CPE s’oppose visiblement partout à Novembre : très consensuel (union de très nombreuses catégories de la société) ; partant non pas de la gueuserie de la métropole mais de la middleclass de province ; privilégiant dans l’action le détournement à ladestruction il apparaît, après ceux qui ne parviennent pas à achever le vieux monde à l’automne, comme une longue fausse couche s’imaginant soleil du monde alors qu’elle s’enfonce un peu plus dans l’hiver de l’information. Car c’est bien cette dernière qui a à nouveau tenu le premier rôle, faisant du mouvement anti-CPE le contraire visible de Novembre, mais la même chose au fond. Elle avait montré de Novembre des petits gangs vifs et gênés par l’Etat, elle décrit maintenant des moutons bolcheviques en mal de contrainte. Les principaux arguments des protestataires qu’elle rend public sont ceux de futurs membres de la classe moyenne se lamentant sur l’éventualité de ne pas pouvoir y accéder et regrettant un âge d’or de l’étatisme où l’existence entière de chacun était assurée et toute tracée : c’est le purulent « Non au CPE, oui au CDI ». Il est vrai que beaucoup ne voulait manifester dans la rue que pour faire le service d’ordre et ne rejetait le CPE que pour voter d’autres lois iniques. De fait, une majorité du soutien au mouvement le sera pour ces raisons conservatrices. Pourtant, mille et une autres revendications s’y sont greffées, aussi vite qu’oubliées, telles que l’amnistie des lycéens de 2005 et la libération des révoltés de Novembre.

L’information se jette à nouveau sur un mouvement de rue et ce, encore une fois,mondialement (des médias de tous pays ont relaté le CPE, qui, contrairement aux banlieues, ne faisait cependant pas les titres les plus gros). Les protestations d’une middleclass s’agrippant désespérément au New Deal, face au capitalisme du XXIème siècle, sont à la mode. Mais en dehors de cela, l’intérêt majeur de l’information pour ce mécontentement a été de continuer, en rappelant par-ci par-là mai 68, sa construction de l’image de la France comme l’Etat de la perpétuelle révolte dans la division internationale du travail au spectacle, celui des éternelles violences, un peu comme il y aurait cette éternelle calamité de « guerre au Proche-Orient ». Dans l’information plus spécifiquement française, le spectacle du CPE a également permis de mettre en scène la sympathique, la gentille révolte, apparemment contre un jacobinisme outrancier des gouvernants (qui n’est pas normal dans une bonne démocratie tolérant par ailleurs leur prévarication et leur corruption). Mais, dans les faits, toujours contre la mauvaise révolte des gueux de banlieue. (Pendant le mouvement des lycées, le 15 février et le 8 mars 2005, des bandes étaient venues dépouiller des lycéens de leur sac ou de leur téléphone cellulaire, puis le 15 mars où les journalistes avaient dénombré 300 casseurs maisune seule vitrine cassée, faisant l’amalgame dépouilleur=casseur=caillera, tout ce qui est mal, en s’indignant avec raison de ces individus venant violenter leurs bambins qui se battaient pour les acquis de tous, donc même pour ceux de leurs propres agresseurs, ces ingrats ! Mais les bandes de délinquants avaient tout autant raison, de leur point de vue, d’agresser des blancs-becs qui se prosternent pour la défense d’une institution sans jamais se solidariser avec aucune offensive en cours, de banlieue ou d’ailleurs. Mais le déplacement du gentil mouvement dans de moins gentilles occupations massives de lycées et d’administrations scolaires, expérimentées après la mi-mars, avec destructions de locaux et quelques affrontements avec la police, avait vite démenti ce spectacle en associant dans la rue cailleras et autres lycéens contre l’Etat, ce véritable ennemi de la jeunesse).

A Rennes, plusieurs jeudis soirs « rue de la Soif » -parce qu’il devenait interdit de boire- s’étaient finis en bousculades avec les policiers depuis le début de l’année scolaire, à l’automne 2005. Et c’était suite à l’interdiction d’un technival qu’avait eut lieu une nuit entière d’affrontements dans le centre-ville le 10 décembre dernier. Certaines facs délaissées au profit d’autres, les suppressions de postes, les coupes répétées dans les budgets et la mise en place très laborieuse depuis quelques années d’une réforme européenne des universités (visant à prolonger la tentative d’en faire des viviers de salariés qualifiés), tout ceci avait entretenu maintes mobilisations ces derniers temps, dont la plupart avaient surtout permis d’éloigner la révolte à cause de leur passivité face aux institutions, de leur ressentiment face à l’initiative, de leur ennuyeuse servilité dans l’action. Elles avaient en fait, souterrainement, dégoûté -on l’espère à jamais- une bonne partie de la jeunesse de protestations aussi plates, aussi fausses. C’est pourquoi en ce début d’année, d’emblée certains participants ont montré leur volonté de dépasser justement les manifestations passives dans d’assez sympathiques innovations (comme il y avait eu, trop éparses, au Québec un an avant), qui se répandront de manière grandissante avec le mouvement -blocage et/ou occupation et/ou « vidage » et parfois saccage de facs, lycées, écoles, administrations -inspections académiques, mairies, DDT- locaux syndicaux (MEDEF) ou politiciens (UMP), gares, routes, fast-foods, boîtes d’intérim. Dans quelques unes de ces initiatives on retrouve des chômeurs qui se sont rapidement greffés au mouvement après s’être à nouveau manifestés indépendamment : en janvier, 6 ANPE étaient brûlées à travers la France, et d’autres occupées début février (à Lille, à Paris).

7 février : 220 000 à 400 000 manifestants en France contre le CPE et la LEC. Dès le lendemain, le campus de Rennes-II est bloqué par des étudiants. Le 16 février, de nombreuses manifestations ont lieu (Nantes, Brest, Lorient, Poitiers, Angers, Le Mans, Tours, Caen, Dinnan, Lannion, etc.) et à 20h00 à Rennes « environ 500 étudiants se sont rassemblés devant la mairie, pour une « manifestation bruyante », armés de casseroles, de tam-tams, de bombardes, de pétards, de sifflets ou encore de hauts-parleurs ». Peu après, légers heurts. Le 23, des campus à Lille, Paris, Bordeaux et Toulouse sont bloqués. Dans cette dernière ville, une manifestation réunit entre 800 et 3 000 personnes dont 2 qui sont blessées lors d’affrontements avec les CRS. Le 7 mars, à l’occasion d’une manifestation nationale qui réunit 400 000 à 1 000 000 de personnes, à Toulouse on cherche plus loin que la fois précédente : le rassemblement rentre dans la mairie puis dans la préfecture, où les policiers déboulent, initiant des affrontements ayant lieu jusque dans la soirée place du Capitole. 8 mars à Poitiers, une des premières villes mobilisées, une assemblée étudiante et lycéenne réunit 4 000 personnes dans un stade de rugby. Le 9 au soir devant la Sorbonne occupée depuis la veille, incidents entre gendarmes, qui bloquent l’entrée, et manifestants. La province remonte à la capitale. Profitant de ce mouvement géographique, le spectacle va s’y coller en tentant de le ramener tout entier dans une représentation parisienne. C’est d’abord l’Etat qui enclenche le spectacle en choisissant de bloquer policièrement ce campus précis qu’est la Sorbonne, sachant bien qu’après 40 ans de politiques urbaines les étudiants n’auraient aucune chance de soulever le quartier. Le 10 mars des manifestants parviennent à s’introduire dans la Sorbonne, en trompant la vigilance des gendarmes ou, pour d’autres, après les avoir repoussés. Des poubelles et un restaurant ‘Mac Donald’s’ ont fait les frais de cette nuit-là et « des minibarricades étaient édifiées au coeur du quartier Latin ». Vers 4h00 du matin, les CRS évacuent malgré la défense des occupants (officiellement 11 arrestations, 11 blessés chez les flics et 2 parmi les manifestants).

Dès lors, les affrontements à Paris se cristallisent. Le 14 mars, première attaque pour reprendre la Sorbonne : dès 17h00 à Paris, premiers incidents dans le quartier Latin et de 18h30 jusqu’à 22h00, 2 000 à 3 000 manifestants affrontent la police (ainsi que, assez tard, une centaine de contre-manifestants d’extrême droite) ; 9 policiers blessés, 9 arrestations. Le 16 mars, alors qu’ont lieu au matin des échauffourées au Raincy et à Toulouse (Arsenal), au cours de la journée de manifestations nationales des affrontements ont lieu à Rennes et à Châlons-sur-Saône (3 blessés). A Paris, la fin de manif qui dégénère à partir de 16h30 à Sèvres-Babylone (kiosque à journaux incendié…) va se prolonger devant la Sorbonne où, à partir de 19h30, environ 300 manifestants actifs descellent les dalles de la place, trouvent des projectiles dans le café et le restaurant avoisinants et tentent de vaincre le cordon policier qui barre l’accès au campus. Attaque de quelques banques, magasins et restaurants, des voitures sont retournées ou brûlée lors des courses-poursuites avec des policiers et des contre-manifestants. 70 arrestations (un homme le lendemain écopera d’un mois ferme). Dès le 17 mars, 300 à 400 jeunes se battent avec la police devant la préfecture de la Seine-Saint-Denis à Bobigny. Une douzaine d’adolescents sont interpellés. Le samedi 18 mars manif nationale : 530 000 à 1, 5 million de manifestants. A Paris, 80 à 350 000 personnes défilent jusqu’à la place de la Nation où les affrontements commencent en fin de manifestation. Une voiture brûle, des magasins et un ‘Mc Donald’s’ sont attaqués et pillés. Certains manifestants se regroupent à nouveau devant la Sorbonne et attaquent la police (qui avait barricadé la place avec des barrières anti-émeutes) et quelques magasins, en vain. La Sorbonne restera fermée et tout le quartier bouclé pendant un mois et demi. 167 interpellations à Paris et 72 personnes en garde à vue, officiellement 18 blessés ont un coma, 34 policiers et gendarmes blessés. A Lyon, dépassement spontané des revendications : au moment de la dispersion des manifestants anti-CPE devait commencer une manifestation nationaliste turque en désaccord avec un monument érigé dans cette ville en mémoire du « génocide arménien ». Affrontements entre manifestants puis contre la police.

Occupation, expulsion, attaque de la Sorbonne : la persistance de mai 68 dans l’information et les consciences étudiantes a permis d’occulter ce qui était en jeu et se focaliser sur la Sorbonne était se tromper sur la nature du mouvement. Le 16 et le 18 mars qui sont des émeutes défaites commencent de fait un élargissement de la lutte : dans le nombre et la variété des protagonistes et des combats –qui sont ouverts à tous. Si parodie de 1968 vient d’avoir lieu, on voit surtout qu’une époque a passé. La naissance et la mort de la pensée font partie du même mouvement réel : la grève générale du travail, tant attendue par les étudiants, n’aura pas lieu (malgré les convergences possibles par exemple avec les affrontements entre police et dockers venus de toute l’Europe protester contre la libéralisation des services portuaires à Strasbourg, le 16 janvier), mais d’autres catégories que les salariés vont entrer en action, à l’insu de beaucoup. La semaine suivante va voir se multiplier les initiatives nouvelles en déplaçant et agrandissant le terrain de la lutte.

Tandis que des lycées commencent à être occupés comme l’année passée, et avant de fairemieux qu’alors, le lundi 20 mars à La Courneuve (banlieue de Paris) la façade du lycée J.Brel essuie des jets de pierres et bouteilles. A Drancy (banlieue de Paris) « un rassemblement sous prétexte de manifestation anti-CPE a dégénéré. Bilan : trois voitures brûlées et des lycéens dépouillés ». Si le 17 mars avaient certes lieu les premiers affrontements avec la police en banlieue de Paris, le mardi 21 c’est à Evry et à Clichy-sous-bois qu’ils ont lieu. Ce jour-là, caillassage aussi d’un lycée à La Courneuve, dégradations sur un lycée professionnel à Nanterre, incidents à Paris, Mâcon et Tours. « Nous avons franchi aujourd’hui un stade » fait remarquer un flic qui estime que 1.500 lycéens issus de 25 établissements sont dans la rue mardi. « Des jeunes sillonnent les rues par groupes pour aller débaucher d’autres lycéens mais n’hésitent pas pour certains à aller au contact des policiers, ou à s’approvisionner dans les magasins au passage ». Par exemple mardi et mercredi à Saint-Ouen, Le Raincy, Drancy, Villepinte, Rosny-sous-bois, Montreuil, Livry-Gargan, Le Blanc-Mesnil, La Garenne-Colombes. « Selon le rectorat, « la tendance qui se dessine, ce sont des mouvements non politisés avec l’idée d’en découdre avec l’autorité en général. Parmi ces jeunes, il n’y a pas que nos lycéens ». »

Le 23 est prévue une nouvelle manifestation nationale. « Incidents violents » à Marseille, vandalisme aux galeries Lafayette de Rennes et affrontements avec la police, tandis que fait là-bas son apparition le slogan « Nous sommes tous des casseurs ». A Paris, fin de manifestation place des Invalides. Rixe générale entre les SO syndicaux, des bandes qui dépouillent des manifestants, des manifestants, des flics en civil qui sont reconnus, des flics en uniforme qui sont attaqués, des journalistes pris à partie. Quelques commerces (restaurant, agence immobilière, etc.) sont saccagés et pillés (dizaines d’arrestations, 3 personnes condamnées de 1 à 3 mois ferme dès le lendemain). Grand spectacle des-sauvages-de-banlieue-qui-dépouillent-et-qui-cassent, repris ensuite systématiquement y compris par des médias étrangers. Ici continue croissant l’infini spectacle de la bonne et de la mauvaise révolte. La colère de CPE a pourtant permis d’unifier en pointillé des zones de la métropole jusque-là restées séparées les unes des autres. Mais, l’information profite de la forte adhésion à ses catégories chez beaucoup de manifestants pour se délecter, dans leur spectacle, des banlieusards du centre-ville -parce qu’elle ne veut voir que cela, les gens qui s’activent à nouveau dans les banlieues démentant tellement ses pauvres connaissances limitées par sa mauvaise foi. Elle ainsi nie la réalité du monde, qui passe sans elle, contre elle. Le lendemain des Invalides n’est pas la guerre ethnique mais bien la guerre sociale. En effet, la plus grande expression dans une situation, à ce moment, de ce mouvement où un simple mécontentement retrouve la radicalité a lieu le vendredi 24 mars à Saint-Denis. Là, dès 9h00 : incidents devant le lycée Eluard (4 flics blessés, 1 voiture brûlée et 3 abîmées mais aussi 2 brûlées devant le lycée Suger). Un car de touristes est pris à partie sur la RN 1 qui est ensuite fermée à la circulation par la police, de même que le centre piéton et commerçant de la ville après que la « horde de sauvages » (dixit une vendeuse de la bijouterie Delatour saccagée et pillée près de la Basilique) s’y fût introduite afin de le ravager jusqu’aux alentours de midi (dizaine de commerces pillés et voitures éclatées rue Gabriel-Péri, 2 bijouteries et un magasin de téléphones portables pillés rue de la République). « A l’inverse d’hier (jeudi), aucune manifestation lycéenne n’était prévue et on n’avait pas pris de précaution, expliquent plusieurs commerçants. Et quand on a appelé la police, ils nous ont dit de fermer car ils n’étaient pas assez pour nous protéger. » « Même pendant les émeutes de novembre, on n’avait pas connu pareille violence. »

Les occupants du Syndicat des entreprises de travail temporaire, le mardi 21 mars, déclarent : « Nous nous inscrivons pleinement dans le mouvement en cours dans ce pays, mouvement qui bien au-delà de la dénonciation du CPE pose tout simplement la question de l’emploi de nos vies à tous ». A Paris également, ceux de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess), organisent du 20 au 24, explicitement à partir de la radicalisation du mouvement en cours, des AG en lutte ouvertes à tous, sans tribune ni tour de parole. Lors de cette occupation, le bâtiment a été plus ou moins saccagé, comme tant d’autres, mais surtout pillé. En particulier, de nombreuses données de travail de chercheurs détruites auraient provoqué le départ de bon nombre de membres de l’école qui soutenaient l’occupation. Le bâtiment occupé est détruit parce que d’autres choses que ce pourquoi il est fait s’y font. Mais on pourrait voir ici en même temps la manifestation d’un certain dédain pour la compréhension du monde, souligné peut-être par le contenu des assemblées où, d’après les témoignages, les débats se seraient très vite épuisés dans des diatribes d’orateurs professionnels, excluant toute pertinence (après l’expulsion de l’école le vendredi 24 à 06h00 dans une évacuation effectuée par des vigiles privés parce qu’ordre aurait été donné à la police de ne pas intervenir -s’ensuivant tout de même 72 arrestations et 1 garde à vue- rendez-vous est pris dans un squatt, ramenant l’assemblée potentiellement nouvelle à un collectif de militants, réduction si fréquente dans les échecs qui ne veulent pas s’avouer).

Mardi 28 mars : manifestation nationale. Collaboration active de la police et des SO de travailleurs, dont les syndicats mobilisent leurs troupes lors de telles journées : 387 arrestations à Paris, 200 en province. Incidents au Mont St Michel, à Nanterre, Grenoble, Caen, Dijon, affrontements avec la police à Rennes et à Lille. A Rouen, attaque de magasins dans la vieille ville. A Paris, la confusion ressemble à celle des Invalides (1 CRS blessé grave). Plus d’1 à 3 000 000 dans les rues de France, c’est-à-dire davantage qu’en 1995. En outre une centaine d’individus perturbe la circulation devant la gare de Savigny-sur-Orge à 12h15 et jette des pierres aux policiers (23 arrestations), enfin, 50 étudiants occupent les locaux parisiens de l’AFP, place de l’Opéra, pendant une demi-heure en accrochant une banderole indiquant « nous sommes tous des casseurs ».

Pour dépasser la routine des journées de mobilisations les blocages et occupations, c’est-à-dire les perturbations dans la circulation de l’esprit pratique, se généralisent à partir du lendemain (et faisant pression jusqu’au retrait du 9) principalement dans les banlieues, la province : dans les lycées, les routes et les gares, mais aussi s’étendant à de nouveaux objets : « Marché d’intérêt national », technopole, centres de tri postaux, même un aéroport. On a aussi vu une partie de ballon avoir lieu sur l’autoroute –la qualité de la rencontre qui y naîtcontre le mouvement perpétuel des marchandises doit être envisagée. Vendredi 31 au matin, nouveaux incidents entre élèves devant le lycée J. Brel. Le soir, à l’heure du plateau-repas, allocution télévisée, honteuse et inaudible du président Chirac puisque, tapi jusque-là dans l’Elysée, il promulgue maintenant la loi tout en annonçant en même temps qu’un autre texte sera adopté pour la modifier. Suite de la soirée : multiples manifestations sauvages. Incidents à Poitiers, affrontements avec la police à Nantes. A Paris, dégradations (Sénat, Sacré-Coeur), saccages (vitrines de magasins, restaurant, permanence d’un député UMP).

Les politiciens attendent encore une semaine mais on ne s’essouffle pas. Lundi 3 avril, grèves d’enseignants de collège à Saint-Denis et Bagnolet. Devant le lycée Brel à La Courneuve, vers 10h00 des élèves dont certains collégiens brûlent des palettes de bois et des poubelles, détruisant à la fois le système électrique de la grille et celui de vidéosurveillance, et lancent des pierres en direction des étages de l’établissement. Dispersion vers midi et fermeture de l’établissement jusqu’au surlendemain. « Victime d’attaques depuis le début de la mobilisation contre le CPE, voilà deux semaines que le lycée Jacques-Brel est contraint chaque jour de fermer prématurément. « Au départ, la pression venaient de jeunes d’établissements voisins. Là, on sent que certains de nos élèves sont en train de basculer dans la violence. Jeudi dernier, des élèves de seconde ont cassé des murs à l’aide d’extincteurs. […] Cela va être difficile […] de reprendre le contrôle du lycée ». » Le lendemain 4 avril lors de la manif nationale, toujours 1 à 3 millions de manifestants en France. Affrontements à Rennes, Paris, Angers, Nantes, Lorient, Niort, Caen (manif sauvage de 6 000 qui se heurte à la police en voulant occuper une nouvelle fois le périphérique et qui la fait se replier,débordée, après 3 heures d’affrontements). 383 arrestations à Paris et 107 en province. Le 5 avril à l’aube, les Poitevins disposent des herses à neuf points d’accès de la ville, retardant le démarrage de l’activité de plusieurs heures (des paysans apportent en renfort bottes de paille et tracteurs), tandis que dans « l’après-midi, des étudiants de Montpellier ont pénétré le local de l’UMP et jeté chaises, tables et armoires sur le trottoir ».

Enfin le 10 avril, alors que les étudiants de la zone B (Paris-Bordeaux) sont, les premiers, en vacances, Villepin retire son projet, et en avance un autre « en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté », qui sera adopté le lundi 12 au Sénat, alors que les blocages continuent dans plusieurs universités. Elles diminueront désormais progressivement, en même temps que le volume médiatique consacré au mouvement et leur soutien dans la population, avant de s’épuiser pratiquement comme en Novembre, comme si le mouvement s’était vaincu lui-même malgré son apparente richesse. Comme si, non content de voir s’éloigner l’emprise des organisations extérieures que constituent les syndicats, il pratiquait lui-même sa propre récupération, ayant intégré les catégories de pensée ennemies (c’est encore manifeste dans les « coordinations » des « AG » étudiantes, que nombre de délégués eux-mêmes raillent sans cesse). Quelques actions auront encore lieu, n’en finissant de s’étaler sur la durée : le mardi 18 avril, la mairie de Saint-Jean-de-Luz est occupée par un groupe d’intermittents. Le même jour à 17h, les locaux du journal ‘La Tribune’ sont investis dans le quartier de la Bourse, à Paris, par une centaine de manifestants qui veulent empêcher la parution du quotidien économiste le lendemain (contre la LEC et deux autres lois contre les travailleurs et les immigrés) mais qui y échouent, évacués par la police à 19h. Le 24 avril, alors que les zones A et C sont encore en vacances, le site de la Sorbonne rouvre pour la rentrée. Une nouvelle occupation a lieu le soir même, contre la LEC (évacuation par la police vers 22h00).

La radicalité exprimée à certains égards dans Novembre a peut-être permis concrètement CPE. Le bonheur non-médiatique du mouvement contre le CPE a été de témoigner d’unelogique inclusive : en 2006 se seront retrouvés à la fois les émeutes lors du CIP (quasiment le même « contrat ») en 1994, les chômeurs, les étudiants, les lycéens, le personnel de ces établissements et d’autres membres de la fonction publique, ainsi que quelques travailleurs « précaires » comme les intermittents, et d’autres encore, épisodiquement, comme les paysans -donnant l’allure d’un mouvement middleclass, certes, mais d’une basse middleclass agitée d’envergure.

L’information-masturbation travaille à embuer le brouillard, non seulement en niant la réalité mais en organisant aussi le non-événement jusque dans la fausse révolte publique et quotidienne. Dans la guerre contre la société de la servitude louée, de la pseudo-démocratieparticipative, plus que jamais l’ennemi vient de l’intérieur : de la soif de publicité mensongère, de la conscience même de l’individu qui se révolte qui, à travers des catégories de pensée entretenues obsolètes, joue souvent contre ses propres actes, lui faisant établir des justifications qui les desservent. L’information des consciences, qui nous domine, a construitl’image du dépassement de l’émeute –ce qui constitue une tentative désespérée de supprimer définitivement le négatif sans détruire l’insatisfaction qui le sous-tend. CPE a permis quelques critiques de l’information dominante, dont la principale fut « Nous sommes tous des casseurs ». Ce slogan est né, avant l’AFP, à Rennes, où la violence commençait à faire l’objet d’une réflexion publique dans les assemblées d’étudiants. Mais les actes les plus radicaux ont posé des problèmes importants, dont : comment lancer une réflexion sur la révolte, le monde, alors que la révolte est recouverte par sa propre image ? L’absence de développement direct de ces actions a fait tout le legs de CPE à sa postérité (un surplus d’iconographie), qu’il a permise dans un même mouvement. Une banderole à la Sorbonne le 24 avril proclamant alors : « Le mouvement doit mourir, vive l’insurrection » exprimait assez bien l’idéologie et les carences théoriques au fond du mouvement. Non loin de la Sorbonne, le « Ici maintenant c’est émeute tous les soirs » montre à quel point l’information cet hiver 2005-2006 a réussi son défi idéologique d’imposition publique de ses catégories de pensée : même des insatisfaits prônent désormais la pseudo-Intifada, l’émeute vide quotidienne. Cette carence théorique a aussi permis aux degauche, ces laborieux suivistes, de s’incruster durablement dans le mouvement (les 1 et 2/04, déclaration commune des partis de gauche, dont les autocollants « s’affichent tranquillement, dans les manifestations, sur les revers de veste. Et cette fois, les socialistes ne se sentent plus rejetés. C’est un signe. La mobilisation massive contre le CPE et sa mue en crise politique, ouvrent un nouvel espace à la gauche qui voit l’horizon 2007 s’éclaircir plus rapidement qu’elle ne l’avait espéré »). Cette carence provient du fait que, contrairement aux apparences (qui sont d’abord celles de l’information), rien de neuf, ici, ne s’est produit dans le monde, sinon la continuation de la réforme du parti ennemi qui, à travers l’information dominante, tente maintenant de prévenir les troubles, de les falsifier à l’avance pour endiguer l’insurrection. De CPE la middleclass est provisoirement sortie renforcée (sur sa gauche).

Ainsi, Novembre et CPE n’ont pas, dans l’ensemble, critiqué leur visibilité, en même temps qu’ils ne se sont pas regardés, compris, ralliés visiblement. Ce qui les a perdus immédiatement en conservant une importante séparation qui fait la cohérence précaire de l’idéologie de cette société : celle entre la bonne et la mauvaise révolte, entre la basse middleclass et la gueuserie -mais en la rendant éminemment saillante. Tout en occultant les similitudes, qui esquissent presque un programme : la haine du flic, la haine des marchandises et d’abord celle de leur circulation. (En outre, le 4/11/05 à Noisy-le-Grand, « des incidents éclatent à la fermeture anticipée d’un centre commercial. Des groupes de jeunes jouent au chat et à la souris avec les forces de l’ordre ». 28/03/06 à Créteil, même jeu d’enfant entre 50 écoliers et la police -centre commercial ‘Créteil-Soleil’, 11 arrestations.) CPE et Novembre vont devenir parmi les principaux soutiens de l’information si rien n’est fait prochainement pour détruire son quotidien, ses quotidiens ; pour que, en toute logique, le premier mouvement (involontairement) global des incendiaires modernes en Novembre soit en même temps leur dernière expression séparée. Voici donc l’exigence qu’il faut maintenant vérifier concrètement, au soleil du monde, cette vigoureuse affirmation : nous sommes tous des casseurs (qu’est-ce que « tous » : ici, dans le monde ?), nous sommes des casseurs de tout. Nous ne pouvons qu’espérer que les actes qui ont fait Novembre et CPE du point de vue du négatif n’aient été qu’un aguerrissement avant la bataille décisive, dont les protagonistes se radicalisent, et non la répétition générale de ce qui va empêcher la révolte dans les prochaines années.

Les suites les plus immédiates ne sauraient certainement tarder, en dehors des quelques soirs d’affrontements qu’il y a eu à nouveau en banlieue après le CPE, notamment à Montfermeil, Nevers ou Tours, à partir de rumeurs ou de maltraitances avérées, par des flics ou des vigiles. Mais essayer de les prévoir serait toutefois encore un abus de conscience. Tous possibles et hypothèses sont à examiner et à fonder là aussi (vers l’unité du négatif pour accomplir le monde entier). Que ceux qui se soulèvent soient cependant conscients des forces ennemies s’ils veulent maintenant les vaincre. Toute insurrection en Occident est aujourd’hui complètement endiguée par l’information. Sa critique dans le monde s’avère d’autant plus impérieuse ici.

 

  

22 septembre 2006